Yo !

Yo ! Bienvenue dans le blog d'une future prof... J'y raconte ici ma vie sous toutes les facettes, celle d'étudiante, d'animatrice, de prof et de jeune adulte. Vous verrez les hauts les bas de l'enseignement...et de ma vie.


mercredi 15 septembre 2010

Nouvelle sans titre

Voici une petite nouvelle que je viens de compléter... Qu'en pensez-vous ?
________________________________________________________________________________


Confiture, marmelade, crème, lait.


Confiture, marmelade, crème, lait.

Confiture, marmelade, crème, lait.

Chaque élément était méthodiquement posé, toujours dans le même ordre, comme si elle avait fait cela toute sa vie.

Confiture, marmelade, crème, lait.

Tout tenait dans un équilibre cosmique. Ordre qu’elle n’avait pas décidé. Ni elle, ni personne avant elle. L’Ordre déjà décidé dans un temps immémorial, équilibre innée dont il ne fallait surtout pas déroger.

Confiture : Base cosmique de la vie. Rouge, mouillé, sucré.

Était-ce la base ? Pourquoi ne serait ce pas la marmelade ? Malgré son désir de changement, elle était incapable de modifier l’Ordre. Quelque chose de plus haut l’en empêchait. Comme si, instinctivement, elle savait que cela chamboulerait sa vie. Ce n’était plus qu’une simple suite d’aliments, c’était la vie.

Confiture.

Pourquoi tenait-elle tant à cette pyramide ? Après tout, ce n’est pas grand-chose. Une simple pyramide de garnitures, de compléments, de frivolités. Elle y tenait, à ses frivolités. Sa vie ressemblait justement à cela. À rien d’important. Une vie sans rebonds, sans remous, sans efforts. Elle n’avait laissé aucune marque, même si elle l’avait longtemps espéré.

Confiture, marmelade.

De toute façon, elle n’avait jamais su se fondre dans la masse, encore moins de communiquer avec elle.

Marmelade : Tentative désespérée de faire partie, avec les autres grumeaux, de quelque chose de plus grand.

Confiture.

Marmelade.

Crème.

Lait.

La litanie s’insinuait en elle. Elle se sentait déjà honteuse. Elle devait avoir l’air maniaque. Une maniaque de l’ordre. Un trouble étrange. Elle savait qu’il n’en était rien. Déjà, la colère gonflait ses veines, lui faisait serrer les poings. Tant pis pour la masse. Ce n’était pas la masse qui la rejetait, mais bien elle qui rejetait le commun, le banal. Sa pyramide tombait. Elle, en fait. En morceau. Encore.

Lait, crème, marmelade, confiture.

En désordre, sur sa table. Elle se rejetait elle. Elle s’en voulait de ne pas faire partie de la masse, sans être capable de s’en démarquer pour autant. Elle s’éboulait, se chambardait, se désordonnait. Ne pouvait-elle rien faire comme les autres ? Ne pouvait-elle pas se contenter d’une histoire classique ? Étude, amoureux, maison, enfants, chien blond ?

Non.

Confiture, marmelade, crème.

C’était ça, son histoire classique. Cette pyramide trop de fois refaite sur le même coin de table. Cette répétition offerte aux clients, comme un monstre dans un freak-show. Elle sentait leurs regards, sans même lever la tête. Leurs regards dégouttant de dégoût, posés sur elle, alors qu’ils mangeaient leurs œufs-bacons, salopaient leurs tables, se vantant d’être tant mieux que la pauvre fille, là-bas, à la table du fond, coin fenêtre, toujours la même. Même place. Même pauvre fille. Même routine. Même balourds qui prenaient la même chose mollasse, sans odeur, plein de gras comme leurs yeux et qui jugeaient. Elle sentait le jaune qui coulait contre leurs mentons et elle s’essuyait alors son menton.

Geste inutile pour essayer de se sauver de leurs mires.

Crème.

Elle déposait les récipients doucement, en retenant son souffle, en éloignant leurs souffles chargés de café, de leurs odeurs pestilentielles qui mélangeaient maladroitement le mauvais café et les relents d’alcool de mauvaise qualité que trop avaient abusés la veille.

Et ils se permettaient de juger.

Crème.

Elle leur laissait bien leurs lubies, elle. Pas de haine les visant. Elle les laissait faire leur propre pyramide. Pourquoi se permettaient-ils de venir tout gâcher. Est-ce qu’elle allait leur dire, elle, que c’était futile de travailler dans une usine minable, pour un salaire minable, qu’ils passeraient en alcools minables, dans un appartement minable donnant sur une ruelle minable, où des enfants braillards et sales et malheureux et ayant des parents tout aussi minables s’égosilleraient sur un restant de ballon alors que ces même parents accompliraient le même rituel, se terminant au restaurant de déjeuner minable où ils essaieraient de se convaincre qu’ils n’étaient pas des adultes minables, ou une famille minable, puisqu’ils amenaient tout le monde au restaurant ? Se rattrapant par l’argent, bien plus facile que de l’attention à donner. Un monde minable, avec une logique minable dans un endroit minable. Minable. Minable. MINABLE. Mi. N. A. Ble. Non, elle ne leur dirait pas. Parce qu’elle avait du respect pour l’obsession des autres.

Crème, crème, CRÈME. Confiture, marmelade, crème.

Le dernier pot de crème posé, elle était déjà plus calme. Elle les laisserait à leur vie.

Crème : Abandon total du peu d’espoir qu’elle avait de faire partie de la vie de quelqu’un. De quelque chose.

Ils étaient, eux-aussi, retournés à leur semblant de bonheur familial. Comme si, durant un léger moment d’éternité, tous avaient signé l’accord de faire la paix. De laisser la paix en paix.

Lait.

Elle retenait son souffle. Sa vie finissait là. Elle était une des rares mortelles à savoir quand tout se terminerait.

Confiture, marmelade, crème, lait.

Comme à chaque lait, une amère déception l’envahissait. C’était tout ? Elle souhaitait à chaque une intervention divine qui lui donnerait une autre étape. Un acte à accomplir. Un destin. N’importe quoi, tant que la fin n’était pas déjà là. Stupide lait. Relation amour-haine avec le stupide copeau de lait 2% Québon. Tellement un mauvais jeu de mot. Si sa fin était de mèche avec un mauvais jeu de mot marketing, elle aurait mieux fait de finir plus tôt.

Lait : Amère déception face à la fin.

Confiture, marmelade, crème, lait.

Finalement érigée, sa pyramide se figeait dans le temps. C’était bien la première fois qu’un sentiment d’échec aussi fort habitait son montage. Comme si la confiture, la marmelade, la crème et le lait s’étaient alliés pour lui faire les reproches de sa vie. N’avait-elle pas eu toutes les chances, tout le potentiel ? Qu’en avait-elle fait ? Des pyramides sur les bords des tables ? Des navires de napkins ? Des phares de sucres, des bouées de sucraline ? Elle se défendait, paniquée. Elle avait fait ce qu’elle avait pu. C’était eux qui ne voulaient pas d’elle. Elle ne voulait plus s’imposée. Même la crème ne la défendait plus. Elle n’avait jamais vraiment essayé de s’imposer. Elle avait tout gâché. Il était trop tard.

Une serveuse trop pressée renversa le tout en cognant la table.

Con

Fi

Tu

Re

Mar

Me

La

De

Crè

Me

Lait

Tous dégringolés de leur podium. Les traîtres. Elle leva des yeux reconnaissants à la serveuse embarrassée. La serveuse s’empressa de refaire la pyramide, tout en bafouillant des excuses. Sans un mot, souriante, elle se leva. Elle en avait eu assez. Elle lui laissait cette pyramide, elle n’en avait plus besoin.

Plus de confiture.

Plus de marmelade.

Plus de crème.

Plus de lait.

Elle respirait.

Aucun commentaire: